Didier Demozay

Didier Demozay à la Macc du 14 janvier au 22 mars 2014
à la Galerie Jean Fournier du 11 janvier au 15 février 2014  www.galerie-jeanfournier.com
Didier Demozay, Macc, 1er étage

Didier Demozay, Macc, 1er étage

«…Mieux exprimer le vrai vague et le manque de sens précis projeté »

Paul Verlaine, 1874

 

Portrait d’un tableau

Il faut d’abord préciser que Didier Demozay est peintre. Il peint des tableaux non figuratifs, non narratifs, non formels. Pas de projection possible au sein d’une histoire ou d’un signe, pas de tableautin, de portraiture ni de décodeur. 

[…]

Et Demozay de préciser dans un entretien (toujours pour l’expo du château de Ratilly que nous avons eu la chance de visiter, raison pour laquelle nous l’évoquons) : « (…), je suis un peintre en marge des productions actuelles dites contemporaines ; (…) cependant je pense être un peintre qui vit son époque avec une sensibilité différente, peut-être. C’est aussi très intéressant de se situer ailleurs. Je ne suis pas un cas isolé, ni un moine reclus dans son atelier, je fréquente des écrivains, des historiens de l’art, des philosophes et bien évidemment des peintres. »  Nous aimerions porter l’attention du lecteur au-delà de ce cercle socioculturel que décrit l’artiste qui nous semble pourtant l’isoler de nouveau. Une solitude est sans doute nécessaire et si elle est palpable, c’est l’œuvre qui la livre, le cercle magique ne peut être brisé par quelques représentants. Cela va plus loin.

Nous aimerions interroger la contemporanéité du travail de Didier Demozay là où il se fait, dans un atelier, mais dans un endroit peuplé d’images aussi bien : celles que l’on ne peut ignorer, qui font partie d’un consensus et d’une mise en forme, qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou pas. Ce fait que nous vivons à travers des supports de communication qui peuplent nos vies de « vivant ». Indéniable. Pourquoi et comment cet artiste s’en sort-il vivant ? A-t-on fait le vide à sa place alors que s’y passe-t-il ? Comment récupérer, rattraper l’image qu’on lui a volée avant qu’il ne délibère et légifère de son existence ? Le vide, de nouveau, mais pas dans le tableau, couleurs passées à la brosse. La contemporanéité de l’œuvre de Demozay résiderait dans cette façon de placer les sensations physiques entre des images, sans nous montrer à quoi elles ressemblent, au grand jamais ce n’est pas le propos, car elles ne ressemblent à rien à partir du moment où nous ne les investissons d’aucune mystification.

Le choc d’une collision agit en repoussoir d’une masse à l’autre : un jeu d’auto-tamponneuses, fort de sa porosité, a une vie « cadre » en-dehors du tableau, à travers des variantes de couleur, un noir rencontre un jaune, souvent le noir fait pendant, au vert, au rose aussi. Cadre de vie, cadre visuel, cadre commun, etc., sont moins l’écho d’une répétition cadrée que la présence du corps dans le vide des formes, et du choc extrême qui en découle. Vie du monde, vie de l’œuvre, quand elles ne font plus qu’un, parce que tout est lié dans ces interstices du corps à corps, coude et cœur accrochés. Ces extrémités phénoménologiques existent aujourd’hui à faire de la peinture une histoire. Certes nous n’avons plus besoin de la technique picturale pour obtenir et conserver une image du monde. L’appareil photo et les caméras le font beaucoup plus vite et à bien plus grande échelle, d’autant qu’on n’est plus « obligé » de passer par une subjectivité humaine ce qui peut-être par ailleurs désubjectivise notre relation au sujet (souriez vous êtes filmés) !

Mais il y a encore le besoin de montrer et de simuler et stimuler les fractures, les endroits mauvais, là où ça frotte et où le corps impondérable déplace l’air qu’un courant délicat caresse. La délicatesse de cette violence qui ne dit mots. Nous avions cru que chez Demozay il n’y avait pas de figures. Elles traînent sans pour autant se dévoiler. Par contre on les entend les demoiselles. Ce sentiment à regarder ces surfaces de couleur que l’artiste revendique en tant qu’il n’est pas coloriste, que rien ici n’est silencieux, que ça parle, ça évoque, ça butine. C’est pour cette raison que l’artiste peut s’exprimer sur l’aboutissant de ses émotions, peinture du registre préverbal déjà accoutumée au langage. Nous pourrions dire prédisposition au futur, déjà réalisé dans le présent, dans cette part d’investissement imaginaire qui fabrique le passé : les couleurs de Didier Demozay ne débordent pas du cadre et ne dégoulinent pas, elles lui passent carrément au-dessus.

Pour nous Didier Demozay ce n’est pas la référence sérieuse à la peinture ancienne ou à la peinture muette et silencieuse du XXè siècle, parce qu’on l’a beaucoup dit d’un peintre comme Bram Van Velde ou même de la littérature de Samuel Beckett et si nous les admirons et les apprécions nous préférons remettre le temps en situation d’être, notre contemporain, à travers une œuvre de peintre.